L’article L145-97 du Code de commerce traite du renouvellement du bail commercial dans le contexte d’une modification substantielle des facteurs locaux de commercialité. Cette disposition légale revêt une importance capitale pour les commerçants locataires et les propriétaires bailleurs, car elle peut influencer considérablement les conditions de renouvellement du bail, notamment en termes de loyer. Examinons en détail les implications de cet article et son application dans le monde des baux commerciaux.
Contexte juridique et définition des termes clés
L’article L145-97 s’inscrit dans le cadre plus large du statut des baux commerciaux, régi par les articles L145-1 à L145-60 du Code de commerce. Ce statut vise à protéger le fonds de commerce du locataire tout en préservant les intérêts du bailleur.
La notion de « facteurs locaux de commercialité » est centrale dans cet article. Elle englobe l’ensemble des éléments qui contribuent à l’attractivité commerciale d’un emplacement, tels que :
- La densité de population
- Le flux piétonnier
- L’accessibilité et les transports
- La présence d’autres commerces complémentaires
- Les aménagements urbains
- La réputation du quartier
Une « modification substantielle » de ces facteurs implique un changement significatif et durable qui affecte de manière notable l’activité commerciale du locataire.
Le renouvellement du bail est le processus par lequel un bail commercial arrivant à échéance est prolongé, généralement pour une nouvelle période de neuf ans. C’est lors de ce renouvellement que l’article L145-97 peut être invoqué.
Mécanisme de l’article L145-97
L’article L145-97 permet à l’une des parties (locataire ou bailleur) de demander une révision du loyer lors du renouvellement du bail si elle estime qu’une modification substantielle des facteurs locaux de commercialité est intervenue depuis la fixation initiale du loyer du bail expiré.
Le processus se déroule généralement comme suit :
- La partie qui souhaite invoquer l’article doit apporter la preuve de la modification substantielle
- Cette preuve doit démontrer un impact direct sur la valeur locative du bien
- Un expert peut être désigné pour évaluer l’ampleur de la modification et son impact sur le loyer
- Le juge des loyers commerciaux peut être saisi en cas de désaccord entre les parties
Il est à noter que la modification peut être positive (amélioration de la commercialité) ou négative (dégradation de l’environnement commercial).
L’application de cet article peut conduire à une révision du loyer à la hausse ou à la baisse, en dehors des mécanismes habituels de plafonnement prévus par le statut des baux commerciaux.
Critères d’appréciation de la modification substantielle
L’appréciation de la « modification substantielle » est au cœur de l’application de l’article L145-97. Les tribunaux ont développé une jurisprudence pour clarifier ce concept :
Caractère durable du changement
La modification doit être pérenne et non temporaire. Des travaux de voirie passagers ou un événement ponctuel ne suffisent généralement pas à justifier l’application de l’article.
Impact significatif sur l’activité commerciale
Le changement doit avoir une influence notable sur le chiffre d’affaires ou la fréquentation du commerce. Une variation minime ne sera pas considérée comme substantielle.
Lien direct avec les facteurs locaux
La modification doit être liée à l’environnement immédiat du commerce et non à des facteurs externes comme une crise économique générale.
Exemples de modifications reconnues comme substantielles
- La création d’une zone piétonne augmentant significativement le flux de clients potentiels
- L’ouverture d’une station de métro à proximité immédiate du local
- La fermeture d’un centre commercial voisin entraînant une baisse de fréquentation du quartier
- La rénovation urbaine majeure modifiant l’attractivité de la zone
Les juges examinent chaque situation au cas par cas, en tenant compte de l’ensemble des circonstances et des spécificités de l’activité commerciale concernée.
Procédure de mise en œuvre et contentieux
La mise en œuvre de l’article L145-97 suit une procédure spécifique :
Notification de la demande
La partie souhaitant invoquer l’article doit notifier sa demande à l’autre partie, généralement par lettre recommandée avec accusé de réception. Cette notification doit intervenir au plus tard lors de la demande de renouvellement du bail ou dans la réponse à cette demande.
Négociation amiable
Les parties peuvent tenter de trouver un accord à l’amiable sur le nouveau montant du loyer. Cette phase de négociation est souvent facilitée par l’intervention d’experts immobiliers.
Expertise judiciaire
En cas de désaccord persistant, l’une des parties peut saisir le juge des loyers commerciaux. Celui-ci peut ordonner une expertise judiciaire pour évaluer la réalité et l’ampleur de la modification des facteurs de commercialité.
Décision judiciaire
Le juge rend sa décision en se basant sur les éléments fournis par les parties et, le cas échéant, sur le rapport d’expertise. Il fixe le nouveau montant du loyer s’il reconnaît l’existence d’une modification substantielle.
Voies de recours
La décision du juge des loyers commerciaux peut faire l’objet d’un appel devant la cour d’appel, puis éventuellement d’un pourvoi en cassation.
Le contentieux lié à l’application de l’article L145-97 peut être complexe et coûteux. Il nécessite souvent l’intervention d’avocats spécialisés en droit des baux commerciaux et d’experts immobiliers capables d’analyser finement l’évolution des facteurs de commercialité.
Implications pratiques pour les bailleurs et les locataires
L’article L145-97 a des implications significatives tant pour les bailleurs que pour les locataires :
Pour les bailleurs
- Opportunité de réévaluer le loyer à la hausse en cas d’amélioration de la commercialité
- Nécessité de surveiller l’évolution de l’environnement commercial des biens loués
- Risque de voir le loyer diminuer en cas de dégradation des facteurs locaux
- Importance de documenter les changements positifs pour justifier une demande de révision
Pour les locataires
- Possibilité de demander une baisse de loyer si l’environnement commercial s’est dégradé
- Nécessité de rester vigilant face aux évolutions du quartier qui pourraient justifier une hausse de loyer
- Intérêt à collecter des preuves de l’impact négatif des changements sur l’activité
- Opportunité de renégocier le bail en dehors des mécanismes classiques de plafonnement
Dans la pratique, l’article L145-97 peut servir d’outil de négociation entre les parties, même en l’absence de procédure judiciaire. Il incite bailleurs et locataires à maintenir un dialogue ouvert sur l’évolution de l’environnement commercial.
Perspectives et évolutions potentielles
L’article L145-97 soulève plusieurs questions quant à son application future et son adéquation avec les évolutions du commerce :
Adaptation aux nouvelles formes de commerce
Avec l’essor du e-commerce et des modèles hybrides (click and collect, showrooms), la notion de facteurs locaux de commercialité pourrait être amenée à évoluer. Comment prendre en compte l’impact du digital sur l’attractivité d’un emplacement physique ?
Prise en compte des enjeux environnementaux
Les politiques de transition écologique (zones à faibles émissions, rénovation énergétique) pourraient influencer significativement la commercialité de certains emplacements. L’article L145-97 pourrait être mobilisé pour adapter les loyers à ces nouvelles réalités.
Flexibilité accrue des baux commerciaux
La tendance à des baux plus courts et plus flexibles pourrait remettre en question la pertinence de l’article L145-97, conçu dans un contexte de baux longs et stables.
Rôle croissant de la data
L’utilisation de données massives sur les flux de clientèle, les tendances de consommation et l’évolution urbaine pourrait affiner l’appréciation des modifications substantielles de commercialité.
En définitive, l’article L145-97 demeure un outil juridique puissant pour adapter les baux commerciaux aux réalités économiques changeantes. Son application continuera probablement à évoluer au gré des transformations du paysage commercial et urbain, offrant un cadre de négociation dynamique entre bailleurs et locataires.