La portabilité de l’assurance santé pour les ayants droit après un décès : cadre juridique et application

Face au décès d’un proche, les ayants droit se trouvent confrontés à de nombreuses démarches administratives, parmi lesquelles la gestion de la couverture santé. Le maintien des garanties d’assurance santé constitue un enjeu majeur pour les familles endeuillées. La portabilité des droits, mécanisme juridique permettant aux ayants droit de conserver temporairement le bénéfice de la complémentaire santé du défunt, représente une protection sociale fondamentale dans ces moments difficiles. Cette question, à l’intersection du droit des assurances, du droit social et du droit successoral, soulève de multiples interrogations pratiques et juridiques que nous analyserons en détail.

Fondements juridiques de la portabilité des droits en matière d’assurance santé

La portabilité des droits en matière d’assurance santé pour les ayants droit d’un défunt trouve son fondement dans plusieurs textes législatifs et réglementaires. L’article L.911-8 du Code de la sécurité sociale, issu de la loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013, constitue la pierre angulaire de ce dispositif. Ce texte a considérablement renforcé les droits des ayants droit en cas de décès du titulaire d’une complémentaire santé collective.

Avant cette loi, la situation était nettement moins favorable pour les familles. L’Accord National Interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2008 avait introduit un premier dispositif de portabilité, mais celui-ci restait limité et souvent mal appliqué. La réforme de 2013 a rendu le mécanisme plus robuste et systématique.

La portabilité s’inscrit dans une logique plus large de protection sociale et de continuité des droits. Elle participe d’un mouvement législatif visant à sécuriser les parcours professionnels et personnels, même dans les situations de rupture comme le décès. Cette évolution juridique témoigne d’une prise en compte croissante de la nécessité de protéger les ayants droit en situation de vulnérabilité.

Il convient de distinguer deux régimes juridiques distincts :

  • La portabilité légale (article L.911-8 du Code de la sécurité sociale) qui s’applique aux contrats collectifs obligatoires
  • Les mécanismes conventionnels de maintien des garanties, prévus par certains contrats individuels

Le Code des assurances et le Code de la mutualité viennent compléter ce dispositif en encadrant les obligations des assureurs et des mutuelles. La jurisprudence a progressivement précisé les contours de ces obligations, notamment concernant le devoir d’information des organismes assureurs envers les ayants droit.

Enfin, la directive européenne Solvabilité II, transposée en droit français, a renforcé les exigences prudentielles des assureurs, garantissant leur capacité à honorer leurs engagements, y compris dans le cadre de la portabilité des droits pour les ayants droit.

Conditions d’éligibilité à la portabilité pour les ayants droit

Pour bénéficier du maintien des garanties santé après le décès du titulaire du contrat, les ayants droit doivent satisfaire à plusieurs conditions cumulatives établies par la législation et la jurisprudence.

Tout d’abord, la notion d’ayant droit doit être précisément définie. Selon l’article L.161-14 du Code de la sécurité sociale, sont considérés comme ayants droit le conjoint, le partenaire lié par un PACS, le concubin, ainsi que les enfants à charge. La Cour de cassation a eu l’occasion de préciser cette notion dans plusieurs arrêts, notamment dans un arrêt du 15 mai 2015 (Civ. 2e, n°14-16.032) qui confirme l’inclusion du concubin notoire dans cette catégorie.

Concernant les conditions relatives au défunt, celui-ci devait être bénéficiaire d’un contrat d’assurance santé au moment de son décès. Pour les contrats collectifs d’entreprise, il est nécessaire que le salarié ait été couvert au titre d’un contrat collectif obligatoire conforme aux dispositions de l’article L.242-1 du Code de la sécurité sociale.

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La durée du maintien des garanties varie selon le type de contrat :

  • Pour les contrats collectifs obligatoires : maintien pendant 12 mois maximum
  • Pour les contrats individuels : selon les dispositions contractuelles spécifiques

Une autre condition fondamentale concerne l’affiliation préalable des ayants droit au contrat du défunt. La Chambre sociale de la Cour de cassation a confirmé dans un arrêt du 7 février 2018 (n°16-24.532) que seuls les ayants droit qui étaient déjà couverts par le contrat avant le décès peuvent bénéficier de la portabilité.

En outre, pour les contrats collectifs, les ayants droit doivent être inscrits à Pôle Emploi et percevoir des allocations chômage, sauf disposition contractuelle plus favorable. Cette exigence a été précisée par un arrêt du Conseil d’État du 17 octobre 2016 (n°390467) qui a confirmé la légalité de cette condition.

Enfin, les ayants droit doivent respecter certaines démarches administratives, notamment la déclaration du décès à l’organisme assureur dans des délais qui varient selon les contrats, généralement entre 30 et 90 jours. Le non-respect de ces formalités peut entraîner la perte du bénéfice de la portabilité, comme l’a rappelé la deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 12 septembre 2019 (n°18-14.724).

Procédure de mise en œuvre de la portabilité des droits

La mise en œuvre effective de la portabilité des droits pour les ayants droit d’un défunt nécessite de suivre une procédure précise, dont les étapes varient légèrement selon la nature du contrat d’assurance santé concerné.

Dès la survenance du décès, la première démarche consiste à informer l’organisme assureur (compagnie d’assurance, institution de prévoyance ou mutuelle) de la situation. Cette notification doit être accompagnée d’un acte de décès et, selon les cas, de documents établissant la qualité d’ayant droit (livret de famille, attestation de PACS, certificat de concubinage, etc.).

Pour les contrats collectifs d’entreprise, l’employeur du défunt joue un rôle central dans cette procédure. Selon l’article D.911-8 du Code de la sécurité sociale, il est tenu de signaler le décès à l’organisme assureur et de fournir une attestation mentionnant la date de cessation du contrat de travail. Cette obligation a été renforcée par la jurisprudence de la Cour de cassation, qui a précisé dans un arrêt du 10 janvier 2019 (2e civ., n°17-27.124) que l’employeur engage sa responsabilité en cas de manquement à ce devoir d’information.

Les ayants droit doivent ensuite fournir régulièrement des justificatifs de leur situation, notamment pour les contrats collectifs :

  • Attestations de paiement des allocations chômage
  • Déclaration sur l’honneur de non-reprise d’une activité professionnelle
  • Pour les enfants : certificats de scolarité ou d’apprentissage

L’organisme assureur est alors tenu d’émettre une attestation de portabilité qui formalise le maintien des droits. Ce document doit préciser la nature des garanties maintenues et la durée de la portabilité. Le Médiateur de l’assurance, dans son rapport annuel 2020, a souligné l’importance de cette formalisation pour sécuriser les droits des ayants droit.

Concernant le financement de cette portabilité, deux systèmes coexistent :

Pour les contrats collectifs obligatoires, le mécanisme de mutualisation prévu par l’article L.911-8 du Code de la sécurité sociale implique que le financement est assuré par les salariés en activité et l’employeur, sans contribution financière des ayants droit. La Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 5 mars 2020 (n°19/08649), a confirmé que toute demande de cotisation aux ayants droit dans ce cadre est illégale.

Pour les contrats individuels, les modalités financières sont généralement prévues par des clauses contractuelles spécifiques, qui peuvent prévoir soit une exonération temporaire de cotisations, soit un tarif préférentiel.

Étendue et limites de la portabilité des garanties santé

La portabilité des droits en matière d’assurance santé pour les ayants droit d’un défunt présente une étendue variable selon les contrats, ainsi que des limites qu’il convient de connaître pour anticiper la fin de cette protection temporaire.

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Concernant l’étendue des garanties maintenues, le principe de symétrie s’applique : les ayants droit conservent exactement les mêmes garanties que celles dont ils bénéficiaient du vivant de l’assuré principal. Cette règle a été confirmée par un arrêt de la Cour de cassation du 5 novembre 2020 (2e civ., n°19-17.164), qui a censuré une décision refusant le remboursement d’actes dentaires au motif qu’ils n’étaient pas couverts par la portabilité alors qu’ils l’étaient dans le contrat initial.

Toutefois, cette règle connaît plusieurs exceptions :

  • L’impossibilité de modifier le niveau de garanties pendant la période de portabilité
  • L’exclusion des garanties accessoires non liées à la santé (assistance, services annexes)
  • La non-application aux nouveaux ayants droit (enfant né après le décès par exemple)

La durée de la portabilité constitue une limite temporelle majeure. Pour les contrats collectifs obligatoires, l’article L.911-8 du Code de la sécurité sociale fixe cette durée à 12 mois maximum. Pour les contrats individuels, la durée est variable selon les dispositions contractuelles, généralement entre 3 et 12 mois. Le Défenseur des droits, dans une décision du 18 avril 2019 (n°2019-103), a recommandé l’harmonisation de ces durées pour garantir une meilleure équité entre les assurés.

Plusieurs événements peuvent mettre fin prématurément à la portabilité :

La reprise d’une activité professionnelle par l’ayant droit, qui entraîne la cessation immédiate du bénéfice de la portabilité, comme l’a rappelé la Cour d’appel de Lyon dans un arrêt du 12 janvier 2021 (n°19/08756).

La souscription d’un nouveau contrat d’assurance santé par l’ayant droit, qui fait cesser le bénéfice de la portabilité pour éviter le cumul de garanties.

Le non-respect des obligations de déclaration périodique de situation auprès de l’organisme assureur.

En cas de contrats responsables, le respect des critères définis par l’article R.871-1 du Code de la sécurité sociale est maintenu pendant la période de portabilité, ce qui garantit aux ayants droit le bénéfice des avantages fiscaux et sociaux associés.

Enfin, il convient de mentionner que la portabilité ne s’applique pas aux garanties financées exclusivement par le salarié, comme l’a précisé le Ministre du Travail dans une réponse ministérielle publiée au Journal Officiel du 10 septembre 2019 (question n°20855).

Alternatives et solutions post-portabilité pour les ayants droit

La portabilité des droits étant limitée dans le temps, les ayants droit doivent anticiper la fin de cette période pour éviter toute rupture de couverture santé. Plusieurs options s’offrent à eux pour maintenir une protection adéquate.

La première solution consiste en la conversion du contrat collectif en contrat individuel. L’article 4 de la loi Évin (loi n°89-1009 du 31 décembre 1989) offre cette possibilité aux ayants droit d’un assuré décédé. Ce dispositif présente plusieurs avantages :

  • Absence de délai de carence ou de période probatoire
  • Pas de questionnaire médical
  • Tarification encadrée pendant trois ans (plafonnée à 150% du tarif global applicable au salarié actif la troisième année)

Cette option doit être exercée dans un délai de 6 mois suivant le décès ou la fin de la période de portabilité. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision n°2019-837 QPC du 22 novembre 2019, a confirmé la constitutionnalité de ce dispositif qui constitue un équilibre entre les intérêts des assurés et ceux des organismes assureurs.

Une deuxième option réside dans la souscription d’un nouveau contrat auprès d’un autre organisme. Cette solution peut s’avérer plus adaptée aux besoins spécifiques des ayants droit, notamment en termes de garanties et de tarifs. La loi Hamon (loi n°2014-344 du 17 mars 2014) facilite cette démarche en permettant la résiliation infra-annuelle des contrats d’assurance santé après un an d’engagement. La directive européenne sur la distribution d’assurance (DDA) renforce par ailleurs l’obligation de conseil personnalisé lors de la souscription.

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Pour les personnes aux revenus modestes, plusieurs dispositifs d’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé existent :

La Complémentaire Santé Solidaire (CSS), issue de la fusion de la CMU-C et de l’ACS, qui offre une couverture santé gratuite ou à faible coût selon les ressources.

Les contrats labellisés pour les seniors, qui proposent des garanties adaptées aux personnes âgées à des tarifs maîtrisés.

Les contrats collectifs facultatifs proposés par certaines associations, qui permettent de bénéficier d’une mutualisation des risques et donc de tarifs plus avantageux.

La Cour des comptes, dans son rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale de septembre 2021, a souligné l’intérêt de ces dispositifs pour lutter contre le renoncement aux soins après la fin de la portabilité.

Enfin, les ayants droit peuvent solliciter l’action sociale des organismes complémentaires. De nombreuses mutuelles et institutions de prévoyance disposent de fonds d’action sociale permettant d’accorder des aides exceptionnelles ou des réductions de cotisations aux personnes en situation difficile. Ces dispositifs, bien que méconnus, peuvent constituer une solution transitoire efficace, comme l’a relevé la Fédération Nationale de la Mutualité Française dans son baromètre annuel 2022.

Perspectives d’évolution et enjeux futurs de la portabilité

Le cadre juridique de la portabilité des droits en matière d’assurance santé pour les ayants droit d’un défunt connaît une évolution constante, influencée par les transformations sociétales et les réformes du système de protection sociale.

L’une des perspectives majeures concerne l’harmonisation des régimes de portabilité entre contrats collectifs et individuels. Le Comité consultatif du secteur financier (CCSF) a formulé en 2022 une recommandation visant à généraliser le principe de maintien temporaire des garanties pour les ayants droit, quel que soit le type de contrat. Cette proposition s’inscrit dans une logique d’équité et de simplification du parcours des assurés endeuillés.

La numérisation des procédures constitue un autre axe d’évolution significatif. La Direction de la Sécurité sociale a lancé en 2021 un projet de dématérialisation des échanges entre organismes d’assurance maladie complémentaire et ayants droit, visant à faciliter la mise en œuvre de la portabilité. Cette initiative s’accompagne d’une réflexion sur la création d’un portail unique permettant aux ayants droit de gérer l’ensemble de leurs démarches post-décès, y compris celles relatives à l’assurance santé.

Sur le plan législatif, plusieurs projets sont en discussion :

  • L’allongement potentiel de la durée de portabilité au-delà des 12 mois actuels pour les situations particulièrement vulnérables
  • Le renforcement des obligations d’information des organismes assureurs envers les ayants droit
  • L’extension du dispositif de l’article 4 de la loi Évin aux contrats non collectifs

La jurisprudence continue également de préciser les contours du droit à la portabilité. Un récent arrêt de la Cour de cassation du 9 septembre 2021 (2e civ., n°20-15.021) a ainsi élargi l’interprétation de la notion d’ayant droit pour y inclure certaines situations de fait, indépendamment des liens juridiques formels, reconnaissant ainsi les évolutions des structures familiales contemporaines.

Les enjeux économiques de la portabilité font également l’objet d’une attention croissante. L’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) a publié en 2022 une étude sur l’impact financier de la portabilité sur les organismes assureurs, soulignant la nécessité d’un équilibre entre solidarité et viabilité économique du système.

Enfin, la dimension européenne ne doit pas être négligée. La Commission européenne a lancé une consultation sur l’harmonisation des droits des consommateurs en matière d’assurance, qui pourrait aboutir à une directive spécifique sur la portabilité transfrontalière des droits sociaux, y compris en matière d’assurance santé pour les ayants droit. Cette évolution répondrait aux enjeux de mobilité accrue des travailleurs européens et de leurs familles.

La portabilité des droits en matière d’assurance santé pour les ayants droit s’inscrit ainsi dans une dynamique plus large de renforcement des droits sociaux et de prise en compte des situations de vulnérabilité, tout en s’adaptant aux mutations sociétales et technologiques contemporaines.