Les fondements juridiques de la reprise des contrats
La création d’une société implique une période de formation durant laquelle certains actes peuvent être conclus au nom de la future entité. L’article 1843 du Code civil et l’article L. 210-6 du Code de commerce encadrent strictement la reprise de ces engagements par la société une fois immatriculée. Le principe est que les personnes ayant agi au nom de la société en formation sont solidairement et indéfiniment responsables des actes accomplis. La société ne peut être engagée qu’en acceptant expressément de reprendre ces actes.
Les conditions formelles d’une reprise valable
La Cour de cassation rappelle dans son arrêt du 30 mars 2023 que la reprise des engagements est soumise à des conditions de forme strictes. Elle doit être explicite et ne peut résulter d’une simple approbation implicite. Cette rigueur vise à protéger la société nouvellement créée contre des engagements potentiellement contraires à ses intérêts. Concrètement, la reprise doit faire l’objet d’une décision formelle des organes compétents de la société, généralement l’assemblée générale des associés.
Les conséquences du défaut de reprise formelle
En l’absence de reprise explicite, la société ne peut se prévaloir des droits découlant des contrats conclus durant sa formation. Dans l’affaire jugée, une société de boulangerie n’avait pas formellement repris les contrats de travaux conclus avant son immatriculation. Elle s’est donc vue refuser tout intérêt à agir pour invoquer la garantie décennale prévue à l’article 1792 du Code civil contre les constructeurs, malgré l’apparition de désordres. Cette solution, bien que juridiquement fondée, peut sembler sévère pour la société.
Les enjeux pratiques pour les sociétés en formation
Cette jurisprudence souligne l’importance cruciale pour les fondateurs de sociétés d’anticiper la reprise des engagements pré-immatriculation. Il est recommandé de :
- Recenser exhaustivement tous les actes conclus au nom de la future société
- Prévoir une clause de reprise dans les statuts
- Faire voter expressément la reprise lors de la première assemblée générale
- Notifier formellement la reprise aux cocontractants
Ces précautions permettront à la société de bénéficier pleinement des droits issus des contrats conclus pour préparer son activité, tout en maîtrisant ses engagements.
L’articulation avec d’autres mécanismes juridiques
La question de la reprise des engagements s’articule avec d’autres problématiques du droit des sociétés. Ainsi, le mandat apparent peut parfois permettre d’engager la société envers les tiers de bonne foi, même en l’absence de reprise formelle. De même, la théorie de l’enrichissement sans cause pourrait éventuellement être invoquée par les cocontractants en cas de non-reprise. Enfin, la responsabilité personnelle des fondateurs reste engagée pour les actes non repris, ce qui peut inciter à une reprise large par la société.
Les évolutions jurisprudentielles et perspectives
Si la Cour de cassation maintient une position stricte sur les conditions de reprise, certaines juridictions du fond ont pu par le passé admettre des formes de reprise plus souples. Un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 16 juin 1980 avait ainsi admis une reprise implicite résultant de l’approbation des comptes. Cette solution n’est plus d’actualité, mais illustre les tentatives d’assouplissement. À l’avenir, une évolution législative pourrait être envisagée pour faciliter la reprise tout en préservant la sécurité juridique, par exemple en instaurant une présomption de reprise pour certains actes essentiels à l’activité sociale.
La reprise des engagements pris au nom d’une société en formation constitue un enjeu majeur à la croisée du droit des contrats et du droit des sociétés. Elle nécessite une vigilance particulière des praticiens pour sécuriser la situation juridique des nouvelles entités et préserver leurs intérêts.