La qualification juridique de la sûreté réelle pour autrui
La Cour de cassation a rendu le 17 juin 2020 un arrêt important clarifiant le régime juridique de la sûreté réelle pour autrui. Cette décision établit une distinction nette entre ce type de sûreté et le cautionnement réel, avec des conséquences significatives en matière de procédures collectives.
Dans cette affaire, des sociétés de crédit-bail avaient bénéficié d’un nantissement sur des parts sociales consenti par une société locataire, en garantie de l’exécution d’un contrat conclu avec une autre société. La société locataire ayant fait l’objet d’un redressement judiciaire, la question s’est posée de savoir si les crédit-bailleurs devaient déclarer une créance à son passif.
L’absence de qualité de créancier du bénéficiaire d’une sûreté réelle pour autrui
La Haute juridiction a répondu par la négative, considérant que le bénéficiaire d’une sûreté réelle pour autrui n’est pas créancier du constituant. Cette position marque un revirement jurisprudentiel par rapport à la jurisprudence antérieure qui assimilait sûreté réelle et cautionnement.
Les juges ont fondé leur raisonnement sur l’absence d’engagement personnel du constituant de la sûreté. En effet, contrairement à une caution qui s’engage sur son patrimoine, le constituant d’une sûreté réelle n’affecte qu’un bien déterminé en garantie, sans s’obliger personnellement.
- Le bénéficiaire n’a pas de droit de créance contre le constituant
- Seul le bien grevé répond de la dette garantie
- Le constituant n’est pas tenu sur son patrimoine général
Les implications en matière de procédures collectives
Cette qualification juridique a des conséquences importantes en cas d’ouverture d’une procédure collective à l’encontre du constituant de la sûreté :
- Le bénéficiaire n’a pas à déclarer de créance au passif
- Il conserve son droit de réaliser sa sûreté sur le bien grevé
- La créance garantie n’est pas soumise aux règles de la procédure (arrêt des poursuites, interdiction des paiements)
Cette solution permet de préserver l’efficacité des sûretés réelles, tout en respectant le principe selon lequel seuls les créanciers peuvent participer à la procédure collective.
Une clarification bienvenue du droit des sûretés
L’arrêt du 17 juin 2020 apporte une clarification importante dans la distinction entre les différents types de sûretés. Il met fin à une confusion jurisprudentielle entre sûreté réelle et cautionnement qui pouvait être source d’insécurité juridique.
Cette position a d’ailleurs été confortée par l’ordonnance du 15 septembre 2021 réformant le droit des sûretés. Le nouvel article 2323 du Code civil dispose désormais expressément que « la sûreté réelle pour autrui n’implique pas d’engagement personnel ».
Néanmoins, des zones d’ombre subsistent, notamment concernant le sort des sûretés réelles consenties avant l’ouverture de la procédure collective. La jurisprudence devra sans doute encore préciser les contours de ce régime juridique.
Un impact significatif sur la pratique des sûretés
Cette décision va avoir des répercussions importantes sur la pratique des sûretés dans le monde des affaires :
- Les créanciers devront être vigilants dans la rédaction des contrats de sûreté
- Le choix entre sûreté réelle et cautionnement devra être mûrement réfléchi
- De nouvelles stratégies pourront être élaborées en cas de difficultés du débiteur
Les praticiens devront intégrer cette nouvelle donne dans leur approche du droit des sûretés et du droit des entreprises en difficulté. Une réflexion approfondie sur l’articulation entre ces deux branches du droit s’impose désormais.
En définitive, cet arrêt de la Cour de cassation contribue à renforcer la sécurité juridique en clarifiant le régime des sûretés réelles pour autrui. Il illustre la nécessité d’une approche fine et nuancée des mécanismes de garantie, au carrefour du droit des contrats, du droit des sûretés et du droit des procédures collectives.