Le cadre juridique du devoir de mise en garde dans le cautionnement
Le cautionnement est une sûreté personnelle par laquelle une personne, la caution, s’engage envers un créancier à payer la dette du débiteur principal en cas de défaillance de ce dernier. Cette opération comporte des risques importants pour la caution, notamment lorsqu’elle n’est pas un professionnel averti. C’est pourquoi la jurisprudence a progressivement imposé aux créanciers professionnels un devoir de mise en garde envers les cautions non averties.
Ce devoir de mise en garde vise à protéger la caution contre les risques d’un endettement excessif. Il oblige le créancier à informer la caution des risques de l’opération et de sa situation financière. La Cour de cassation a précisé les contours de cette obligation dans un arrêt important du 1er juillet 2020.
L’apport de l’arrêt du 1er juillet 2020 : une distinction entre disproportion et devoir de mise en garde
Dans cet arrêt, la Cour de cassation opère une distinction essentielle entre deux notions :
- La disproportion manifeste de l’engagement de caution par rapport aux revenus et au patrimoine de la caution
- Le devoir de mise en garde du créancier professionnel sur les risques d’endettement excessif
La Cour précise que ces deux notions sont distinctes et que le créancier ne peut être dispensé de son devoir de mise en garde du seul fait que l’engagement de la caution n’est pas manifestement disproportionné.
Cette solution est importante car elle renforce la protection des cautions non averties. En effet, même si leur engagement n’est pas disproportionné à la date de sa conclusion, elles doivent être mises en garde sur les risques futurs d’endettement excessif.
Les critères du devoir de mise en garde selon la Cour de cassation
L’arrêt du 1er juillet 2020 précise les conditions dans lesquelles le devoir de mise en garde s’impose au créancier professionnel :
- La caution doit être une personne physique non avertie
- Il doit exister un risque d’endettement excessif né de l’octroi du prêt garanti
- Ce risque doit être connu du créancier ou aurait dû l’être
La Cour ajoute que ce devoir de mise en garde s’applique également en cas de concours inadapté accordé au débiteur principal. Le créancier doit donc évaluer non seulement la situation de la caution, mais aussi celle du débiteur principal.
Les conséquences du manquement au devoir de mise en garde
Si le créancier professionnel manque à son devoir de mise en garde, la caution peut engager sa responsabilité et obtenir des dommages et intérêts. Ces dommages et intérêts peuvent compenser en tout ou partie le montant dû au titre du cautionnement.
La jurisprudence considère que le préjudice subi par la caution correspond à la perte de chance de ne pas contracter ou de contracter à des conditions différentes. Le montant des dommages et intérêts est donc évalué en fonction de cette perte de chance.
La confirmation législative : l’ordonnance du 15 septembre 2021
La solution dégagée par la Cour de cassation a été confirmée et précisée par l’ordonnance du 15 septembre 2021 réformant le droit des sûretés. Cette ordonnance a introduit un nouvel article 2299 dans le Code civil qui dispose :
« Le créancier professionnel est tenu de mettre en garde la caution personne physique lorsque l’engagement du débiteur principal est inadapté aux capacités financières de ce dernier. »
Cette disposition légalise le devoir de mise en garde et en précise le champ d’application. On note que le caractère non averti de la caution n’est plus expressément mentionné, ce qui pourrait étendre la protection à toutes les cautions personnes physiques.
Les enjeux pratiques pour les établissements de crédit
Cette jurisprudence et sa confirmation législative ont des conséquences importantes pour les établissements de crédit et autres créanciers professionnels :
- Ils doivent mettre en place des procédures rigoureuses d’évaluation des risques, non seulement pour le débiteur principal mais aussi pour la caution
- Ils doivent conserver la preuve de l’exécution de leur devoir de mise en garde
- Ils doivent être particulièrement vigilants lorsque la caution est une personne physique, même si elle semble avoir une certaine expérience des affaires
Le non-respect de ces obligations peut entraîner des conséquences financières importantes en cas de contentieux avec la caution.
Perspectives d’évolution du droit du cautionnement
L’évolution jurisprudentielle et législative en matière de devoir de mise en garde s’inscrit dans un mouvement plus large de protection des cautions personnes physiques. On peut s’attendre à ce que cette tendance se poursuive, avec potentiellement :
- Un renforcement des obligations d’information et de conseil des créanciers professionnels
- Une extension du devoir de mise en garde à d’autres types de sûretés personnelles
- Un développement des moyens de défense des cautions en cas de mise en jeu de leur engagement
Ces évolutions posent la question de l’équilibre à trouver entre la protection des cautions et l’efficacité du cautionnement comme instrument de crédit.
L’arrêt du 1er juillet 2020 de la Cour de cassation marque une étape importante dans la protection des cautions non averties. En distinguant clairement le devoir de mise en garde de la simple appréciation de la disproportion de l’engagement, la Cour renforce les obligations des créanciers professionnels. Cette jurisprudence, confirmée par l’ordonnance du 15 septembre 2021, impose aux établissements de crédit une vigilance accrue dans l’octroi et la gestion des cautionnements. Elle s’inscrit dans une tendance de fond visant à rééquilibrer les rapports entre créanciers professionnels et cautions personnes physiques.