Audit énergétique et réglementation des bâtiments : Enjeux et perspectives pour la transition énergétique

La transition énergétique dans le secteur du bâtiment constitue un pilier fondamental de la stratégie nationale bas carbone. Avec près de 45% de la consommation énergétique française et 25% des émissions de gaz à effet de serre, le parc immobilier représente un levier d’action prioritaire. L’audit énergétique s’impose comme un outil diagnostic incontournable, tandis que la réglementation évolue à un rythme soutenu pour les constructions neuves et existantes. Entre la RE2020 pour le neuf et le dispositif Éco-Énergie Tertiaire pour l’existant, les exigences se renforcent significativement. Cette dynamique réglementaire transforme profondément les pratiques des professionnels et influence les stratégies patrimoniales des propriétaires, dans un contexte où performance énergétique et valeur immobilière deviennent indissociables.

Fondements juridiques et évolution du cadre réglementaire

Le cadre juridique encadrant la performance énergétique des bâtiments en France s’est considérablement densifié au cours des deux dernières décennies. Cette évolution résulte d’une double impulsion : européenne via les directives successives sur la performance énergétique des bâtiments (DPEB), et nationale à travers les lois Grenelle, la loi de Transition Énergétique pour la Croissance Verte (LTECV) de 2015, puis la loi Énergie-Climat de 2019 et la loi Climat et Résilience de 2021.

La directive 2010/31/UE a posé le principe du bâtiment à énergie quasi nulle (BEPOS) pour toutes les constructions neuves à partir de 2020. Sa transposition en droit français a conduit à l’élaboration de la RT2012 puis de la RE2020. La directive 2018/844/UE a ensuite renforcé les exigences concernant les systèmes techniques des bâtiments et l’électromobilité, tout en introduisant l’indicateur d’intelligence des bâtiments.

Au niveau national, la loi Climat et Résilience du 22 août 2021 marque un tournant décisif en instaurant un calendrier d’interdiction de location des « passoires thermiques » : dès 2023 pour les logements classés G+, 2025 pour l’ensemble des logements classés G, 2028 pour les classés F et 2034 pour les classés E. Cette mesure s’accompagne d’un renforcement des obligations d’audit énergétique lors des ventes de logements énergivores.

Hiérarchie des normes et articulation des textes

Le corpus juridique relatif à la performance énergétique s’articule selon une hiérarchie claire :

  • Les lois fixent les grands principes et objectifs (Code de la construction et de l’habitation, Code de l’énergie)
  • Les décrets déterminent les modalités d’application et les seuils techniques
  • Les arrêtés précisent les méthodes de calcul et protocoles techniques

Cette architecture normative s’accompagne de documents techniques comme les Règles Th-BCE qui définissent les algorithmes de calcul pour la performance énergétique. La complexité de ce cadre juridique pose parfois des défis d’interprétation pour les professionnels, notamment lors des périodes transitoires entre deux réglementations.

Le Conseil d’État joue un rôle déterminant dans l’interprétation de ces textes. Plusieurs décisions récentes ont précisé la portée de certaines obligations, comme l’arrêt du 28 juin 2021 (n°437823) concernant la validité des méthodes de calcul du DPE, ou l’arrêt du 10 février 2022 (n°454440) sur les obligations de travaux dans les bâtiments tertiaires.

L’évolution de ce cadre juridique reflète une tendance de fond : le passage d’une logique prescriptive (imposant des moyens techniques spécifiques) à une approche performantielle (fixant des objectifs de résultat). Cette mutation s’observe particulièrement dans la RE2020 qui, au-delà de la seule efficacité énergétique, intègre désormais l’empreinte carbone des bâtiments sur l’ensemble de leur cycle de vie.

L’audit énergétique : méthodologie et portée juridique

L’audit énergétique constitue un outil d’évaluation approfondie dont la méthodologie et la portée juridique se sont considérablement renforcées. Contrairement au simple diagnostic de performance énergétique (DPE), l’audit répond à des exigences techniques précises et génère des obligations juridiques spécifiques.

Cadre méthodologique normalisé

La méthodologie de l’audit énergétique est encadrée par plusieurs référentiels techniques. La norme NF EN 16247-2 spécifique aux bâtiments définit les étapes clés du processus : réunion de démarrage, collecte des données, visite sur site, analyse énergétique, rapport et restitution. Cette norme garantit une approche systématique et reproductible.

Le contenu technique de l’audit doit intégrer :

  • Une analyse des caractéristiques du bâti (enveloppe thermique, orientation, inertie)
  • L’évaluation des systèmes énergétiques (chauffage, ventilation, climatisation, éclairage)
  • L’étude des usages et comportements des occupants
  • L’identification des dysfonctionnements et gisements d’économie
  • Des scénarios de rénovation chiffrés avec analyse coût/bénéfice

Le décret n°2018-416 du 30 mai 2018 a précisé les compétences requises pour les auditeurs énergétiques. Ceux-ci doivent justifier soit d’une qualification spécifique (OPQIBI 1905 ou équivalent), soit d’un diplôme sanctionnant une formation dans le domaine de la maîtrise de l’énergie. Cette exigence de qualification vise à garantir la fiabilité des audits réalisés.

Portée juridique croissante

La portée juridique de l’audit énergétique s’est considérablement renforcée ces dernières années. La loi Climat et Résilience a étendu l’obligation d’audit énergétique lors des ventes immobilières selon un calendrier progressif : depuis le 1er septembre 2022 pour les logements classés F et G, à partir d’avril 2023 pour les classés E, puis en 2025 pour les classés D.

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Cet audit doit présenter :

  • Un état des lieux des caractéristiques énergétiques du logement
  • Une proposition de travaux permettant d’atteindre au minimum la classe E
  • Une estimation des économies d’énergie réalisables
  • Une évaluation du montant des travaux et des aides financières mobilisables

La jurisprudence commence à se développer concernant la valeur probante de l’audit énergétique. L’arrêt de la Cour d’appel de Lyon du 14 janvier 2020 (n°18/03513) a reconnu que les défauts identifiés dans un audit énergétique pouvaient constituer des vices cachés au sens de l’article 1641 du Code civil, engageant ainsi la responsabilité du vendeur.

Pour les bâtiments tertiaires, le dispositif Éco-Énergie Tertiaire (décret n°2019-771 du 23 juillet 2019) impose la réalisation d’audits énergétiques comme préalable à l’élaboration des plans d’actions de réduction des consommations. Ces audits doivent être renouvelés tous les 4 ans jusqu’à l’atteinte des objectifs de performance.

L’audit énergétique devient ainsi progressivement un document à valeur contractuelle, dont les préconisations peuvent engager la responsabilité du professionnel qui le réalise. La Cour de cassation, dans un arrêt du 29 novembre 2018 (n°17-17.237), a confirmé qu’un audit énergétique défaillant pouvait engager la responsabilité contractuelle de son auteur.

Réglementation des bâtiments neufs : de la RT2012 à la RE2020

La réglementation thermique des bâtiments neufs a connu une évolution majeure avec le passage de la RT2012 à la RE2020, marquant une transformation profonde de la conception architecturale et des techniques constructives.

Principes fondamentaux de la RE2020

Entrée en vigueur le 1er janvier 2022 pour les logements individuels et collectifs, la Réglementation Environnementale 2020 (RE2020) élargit considérablement le champ d’application de la réglementation thermique. Elle intègre désormais trois dimensions fondamentales :

  • La sobriété énergétique avec des exigences renforcées sur le Bbio (besoin bioclimatique)
  • La décarbonation de l’énergie avec l’introduction de l’indicateur Ic énergie
  • La réduction de l’empreinte carbone des matériaux avec l’analyse du cycle de vie (ACV) et l’indicateur Ic construction

Cette approche globale constitue une rupture par rapport à la RT2012 qui se concentrait essentiellement sur la réduction des consommations énergétiques. Le décret n°2021-1004 du 29 juillet 2021 et les arrêtés du 4 août 2021 fixent les exigences de performance énergétique et environnementale selon une trajectoire progressive jusqu’en 2031.

Un aspect novateur de la RE2020 réside dans sa prise en compte des enjeux de confort d’été. L’indicateur de degré-heure d’inconfort (DH) limite le recours à la climatisation en favorisant les solutions passives comme la protection solaire, l’inertie thermique et la ventilation naturelle. Cette exigence répond aux enjeux d’adaptation au changement climatique et aux épisodes caniculaires plus fréquents.

Implications techniques et juridiques

L’application de la RE2020 entraîne des transformations profondes des pratiques constructives. Le renforcement des exigences sur le Bbio (besoin bioclimatique) de 30% par rapport à la RT2012 impose une conception architecturale optimisée : compacité du bâti, orientation favorable, protection solaire adaptée.

La prise en compte de l’analyse du cycle de vie (ACV) dynamique favorise les matériaux biosourcés comme le bois, la paille ou le chanvre, dont l’empreinte carbone est nettement inférieure aux matériaux conventionnels. Cette évolution constitue un levier puissant pour la transformation de la filière construction.

Sur le plan juridique, la RE2020 modifie les responsabilités des acteurs. Les maîtres d’ouvrage doivent désormais produire une attestation environnementale en fin de chantier. Les maîtres d’œuvre voient leur mission élargie à l’optimisation environnementale. Les bureaux d’études doivent maîtriser de nouveaux outils comme le logiciel RE2020 et les bases de données environnementales INIES.

La jurisprudence relative à l’application de la RE2020 reste embryonnaire, mais plusieurs contentieux émergent concernant l’interprétation des textes. Une décision du Tribunal administratif de Paris du 17 mars 2022 (n°2108532) a précisé les conditions d’application des dérogations dans les zones tendues. Par ailleurs, le Conseil d’État a été saisi concernant la conformité de certaines dispositions avec le droit européen, notamment sur les facteurs d’émission des différentes énergies.

L’application de la RE2020 s’inscrit dans un calendrier progressif avec un renforcement des exigences en 2025, 2028 et 2031. Cette trajectoire offre une prévisibilité aux acteurs tout en maintenant une pression constante vers l’amélioration des performances. Les bâtiments tertiaires, entrés dans le champ d’application depuis juillet 2022, font l’objet d’adaptations spécifiques selon leur typologie (bureaux, enseignement, etc.).

Dispositifs réglementaires pour les bâtiments existants

La réglementation des bâtiments existants constitue un enjeu majeur de la transition énergétique, compte tenu du faible taux de renouvellement du parc immobilier français (environ 1% par an). Plusieurs dispositifs coexistent, formant un cadre réglementaire de plus en plus contraignant.

Le DPE : pivot de la réglementation des logements existants

Le Diagnostic de Performance Énergétique (DPE) a connu une refonte majeure avec le décret n°2020-1609 du 17 décembre 2020 et l’arrêté du 31 mars 2021. Depuis le 1er juillet 2021, le DPE est devenu opposable juridiquement, transformant sa valeur informative en obligation contractuelle. Cette évolution renforce considérablement sa portée juridique.

La nouvelle méthode de calcul du DPE, dite « 3CL-2021 », abandonne les facteurs conventionnels au profit d’une évaluation plus précise des caractéristiques intrinsèques du bâtiment. Elle intègre désormais :

  • La performance de l’enveloppe (isolation, menuiseries, ponts thermiques)
  • L’efficacité des systèmes (chauffage, eau chaude sanitaire, ventilation, refroidissement)
  • Les émissions de gaz à effet de serre associées aux consommations énergétiques

Le nouveau DPE classe les logements selon une double étiquette (énergie et climat) de A à G, avec l’introduction d’une sous-catégorie G+ pour les passoires thermiques les plus énergivores (consommation supérieure à 450 kWh/m²/an). Cette classification devient le support de multiples obligations réglementaires.

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La loi Climat et Résilience introduit un calendrier d’interdiction progressive de location des logements énergivores :

  • Depuis août 2022 : gel des loyers pour les logements classés F et G
  • À partir de 2023 : interdiction de location des logements classés G+ (>450 kWh/m²/an)
  • À partir de 2025 : interdiction de location des logements classés G
  • À partir de 2028 : interdiction de location des logements classés F
  • À partir de 2034 : interdiction de location des logements classés E

Le dispositif Éco-Énergie Tertiaire

Pour les bâtiments tertiaires, le dispositif Éco-Énergie Tertiaire (anciennement « décret tertiaire ») fixe des objectifs ambitieux de réduction des consommations énergétiques : -40% en 2030, -50% en 2040 et -60% en 2050 par rapport à une année de référence. Ce dispositif, défini par le décret n°2019-771 du 23 juillet 2019 et l’arrêté du 10 avril 2020, concerne tous les bâtiments tertiaires de plus de 1000 m².

Les assujettis doivent déclarer annuellement leurs consommations sur la plateforme OPERAT (Observatoire de la Performance Énergétique, de la Rénovation et des Actions du Tertiaire) gérée par l’ADEME. Cette obligation déclarative s’accompagne de la définition d’un plan d’actions visant à atteindre les objectifs fixés.

Le dispositif prévoit deux approches alternatives :

  • Une obligation de résultat en valeur relative (pourcentage de réduction par rapport à l’année de référence)
  • Une obligation de résultat en valeur absolue (atteinte d’un seuil de consommation défini par typologie de bâtiment)

Le Conseil d’État, dans sa décision du 10 février 2022 (n°454440), a validé l’essentiel du dispositif tout en précisant que les objectifs en valeur absolue devaient être définis en tenant compte des contraintes techniques, architecturales ou patrimoniales.

Réglementation thermique pour les rénovations

Les travaux de rénovation sont encadrés par la Réglementation Thermique des bâtiments Existants, qui se décline en deux volets :

  • La RT Existant « globale » pour les bâtiments de plus de 1000 m² achevés après 1948 faisant l’objet d’une rénovation majeure
  • La RT Existant « élément par élément » pour tous les autres cas de rénovation partielle

L’arrêté du 22 mars 2017 a renforcé les exigences de performance pour les éléments remplacés ou installés : résistance thermique minimale pour les isolants, coefficient de transmission thermique pour les menuiseries, efficacité minimale pour les systèmes de chauffage et de refroidissement.

Une évolution significative s’est produite avec l’arrêté du 13 avril 2022 relatif aux exigences de performance énergétique et environnementale des constructions temporaires. Ce texte définit les conditions dans lesquelles les bâtiments temporaires peuvent déroger aux règles de droit commun, tout en fixant des exigences minimales de performance.

La Cour de cassation, dans un arrêt du 15 octobre 2020 (n°19-20.561), a confirmé que le non-respect des exigences de la réglementation thermique lors de travaux de rénovation constituait un trouble manifestement illicite pouvant justifier l’interruption des travaux. Cette jurisprudence renforce considérablement la portée contraignante de ces dispositions.

Perspectives et défis de la réglementation énergétique

L’évolution de la réglementation énergétique des bâtiments soulève des enjeux juridiques, économiques et sociaux majeurs. L’analyse prospective permet d’identifier plusieurs tendances structurantes qui façonneront le cadre réglementaire dans les années à venir.

Vers une approche systémique et territoriale

La réglementation énergétique évolue progressivement d’une approche centrée sur le bâtiment vers une vision plus systémique intégrant l’échelle du quartier et du territoire. Cette tendance se manifeste notamment à travers :

  • Le développement des réseaux de chaleur et de froid urbains, favorisé par la classification automatique en énergie renouvelable dans la RE2020 lorsque le taux d’EnR dépasse 60%
  • L’émergence des communautés énergétiques définies par la directive européenne 2018/2001, permettant l’autoconsommation collective et la mutualisation des investissements
  • La prise en compte du potentiel d’énergie renouvelable des territoires dans les documents d’urbanisme (PCAET, SRADDET)

Cette approche territoriale se traduit juridiquement par un renforcement des compétences des collectivités locales. La loi Climat et Résilience leur confère de nouveaux pouvoirs pour imposer des performances énergétiques supérieures aux exigences nationales dans certaines zones à travers les PLU. Cette territorialisation de la réglementation énergétique soulève des questions juridiques complexes sur l’articulation entre normes nationales et locales.

Intégration des enjeux carbone et économie circulaire

Le second axe structurant concerne l’élargissement du périmètre réglementaire à l’empreinte carbone globale et à l’économie circulaire. Cette évolution se manifeste par :

  • L’introduction de l’analyse du cycle de vie (ACV) dans la RE2020, qui sera progressivement étendue aux rénovations lourdes
  • Le développement du diagnostic ressources (évolution du diagnostic déchets) rendant obligatoire l’identification des matériaux réemployables lors des démolitions
  • L’émergence de la notion de réversibilité des bâtiments, encouragée par le permis d’innover instauré par la loi ESSOC

La loi AGEC (Anti-Gaspillage pour une Économie Circulaire) du 10 février 2020 fixe des objectifs ambitieux pour le secteur du bâtiment : réemploi de 70% des déchets de construction d’ici 2030, obligation de réaliser un diagnostic produits-matériaux-déchets avant démolition. Ces dispositions complètent la réglementation énergétique en favorisant une approche globale de la durabilité des bâtiments.

Le Conseil d’État, dans sa décision du 14 octobre 2021 (n°439390), a validé l’approche réglementaire intégrant les exigences d’économie circulaire dans les marchés publics de construction, ouvrant la voie à une généralisation de ces pratiques.

Enjeux sociaux et économiques de la transition

Le renforcement des exigences réglementaires soulève des enjeux d’acceptabilité sociale et de faisabilité économique. La question de l’accessibilité financière des logements conformes aux nouvelles normes devient centrale, particulièrement dans un contexte inflationniste sur les matériaux de construction.

Plusieurs mécanismes d’accompagnement ont été mis en place :

  • Le dispositif MaPrimeRénov’ pour soutenir financièrement les rénovations énergétiques des logements privés
  • Le taux réduit de TVA à 5,5% pour les travaux d’amélioration de la performance énergétique
  • Les certificats d’économie d’énergie (CEE) qui obligent les fournisseurs d’énergie à promouvoir les économies d’énergie
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La question de la précarité énergétique reste néanmoins préoccupante. Selon l’Observatoire National de la Précarité Énergétique, près de 12 millions de Français sont en situation de vulnérabilité énergétique. Le renforcement des exigences réglementaires pourrait aggraver cette situation si les mécanismes d’accompagnement ne sont pas suffisamment calibrés.

Sur le plan juridique, la Cour européenne des droits de l’homme a reconnu dans son arrêt Tatar c. Roumanie du 27 janvier 2009 que la protection de l’environnement pouvait être rattachée au droit au respect de la vie privée et familiale (article 8 de la CEDH). Cette jurisprudence ouvre la voie à une reconnaissance du droit à un logement énergétiquement performant comme composante du droit au logement.

Perspectives d’évolution réglementaire

Plusieurs évolutions réglementaires sont attendues dans les prochaines années :

  • La révision de la directive européenne sur la performance énergétique des bâtiments (DPEB), qui prévoit notamment l’obligation de rénovation des bâtiments les plus énergivores et l’introduction d’un passeport de rénovation européen
  • L’extension de la RE2020 à tous les bâtiments tertiaires avec des exigences spécifiques par typologie
  • Le développement d’une réglementation rénovation inspirée de la RE2020, intégrant les aspects carbone et confort d’été

Ces évolutions s’inscrivent dans la perspective de la neutralité carbone à l’horizon 2050, objectif fixé par la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC). Elles nécessiteront une adaptation continue des compétences des professionnels et des outils juridiques.

La jurisprudence jouera un rôle déterminant dans l’interprétation de ces nouvelles normes. Les tribunaux seront amenés à préciser les contours de notions encore floues comme le « bâtiment exemplaire » ou la « rénovation performante ». La sécurisation juridique de ces concepts constitue un enjeu majeur pour les acteurs du secteur.

Transformation des pratiques professionnelles et évolution du marché

Le durcissement progressif de la réglementation énergétique et environnementale transforme en profondeur les pratiques des professionnels du bâtiment et reconfigure le marché immobilier. Cette mutation s’observe tant au niveau des métiers que des stratégies d’investissement et de valorisation des actifs.

Évolution des compétences et responsabilités professionnelles

L’application des nouvelles réglementations impose une montée en compétence significative des acteurs de la construction et de l’immobilier. Les architectes doivent désormais intégrer les contraintes énergétiques et environnementales dès la phase d’esquisse, ce qui modifie leur approche conceptuelle. Les bureaux d’études thermiques voient leur mission s’élargir à l’analyse du cycle de vie et au confort d’été, nécessitant la maîtrise de nouveaux outils de simulation.

Cette évolution s’accompagne d’un renforcement des responsabilités juridiques. La Cour de cassation, dans son arrêt du 8 octobre 2020 (n°19-16.986), a confirmé que le non-respect des exigences de performance énergétique constituait un défaut de conformité engageant la responsabilité contractuelle du constructeur. Par ailleurs, le Conseil d’État, dans sa décision du 9 juillet 2021 (n°437634), a précisé que les attestations de prise en compte de la réglementation thermique devaient être établies par des professionnels indépendants du maître d’ouvrage.

De nouveaux métiers émergent pour répondre aux exigences réglementaires :

  • Les commissionnaires chargés de vérifier la bonne mise en service des équipements techniques
  • Les AMO performance environnementale qui accompagnent les maîtres d’ouvrage dans l’optimisation de leurs projets
  • Les auditeurs spécialisés dans la vérification de conformité aux différents référentiels

La formation continue des professionnels devient un enjeu stratégique. Le décret n°2020-7 du 6 janvier 2020 relatif à la qualification des auditeurs énergétiques impose des exigences précises de compétence. De même, le label RGE (Reconnu Garant de l’Environnement) conditionne l’accès des entreprises aux marchés de rénovation énergétique bénéficiant d’aides publiques.

Impact sur la valeur immobilière et les stratégies patrimoniales

La réglementation énergétique induit une reconfiguration profonde du marché immobilier, avec l’émergence d’une « valeur verte » associée à la performance environnementale des bâtiments. Selon les études du Plan Bâtiment Durable, la décote des logements énergivores peut atteindre 15 à 20% dans certains marchés tendus.

Cette évolution modifie les stratégies des investisseurs institutionnels qui intègrent désormais systématiquement les critères ESG (Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance) dans leurs décisions. La taxinomie européenne sur les activités durables, entrée en vigueur en 2022, renforce cette tendance en définissant des critères précis pour qualifier un investissement immobilier de « durable ».

Les propriétaires bailleurs développent des stratégies d’anticipation face au calendrier d’interdiction de location des passoires thermiques :

  • Planification des travaux de rénovation par étapes
  • Arbitrage entre rénovation et cession pour les actifs les plus dégradés
  • Recours aux dispositifs fiscaux incitatifs comme le Denormandie dans l’ancien

La jurisprudence commence à prendre en compte cette dimension dans l’évaluation des biens. Un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 9 mars 2022 (n°20/16641) a validé une décote de valeur liée à la mauvaise performance énergétique d’un immeuble dans le cadre d’une expropriation.

Contentieux émergents et risques juridiques

Le renforcement des exigences réglementaires s’accompagne de l’émergence de nouveaux contentieux. Trois catégories principales peuvent être identifiées :

  • Les contentieux contractuels liés au non-respect des performances promises (garantie de performance énergétique)
  • Les contentieux administratifs concernant l’interprétation des textes réglementaires
  • Les contentieux de responsabilité impliquant les professionnels (auditeurs, diagnostiqueurs, constructeurs)

La garantie de performance énergétique (GPE) cristallise particulièrement les tensions juridiques. Une distinction s’opère entre la GPE intrinsèque, qui garantit les performances théoriques du bâtiment, et la GPE réelle, qui s’engage sur les consommations effectives. Cette dernière soulève des questions complexes de partage des responsabilités entre concepteurs, constructeurs et utilisateurs.

Le Tribunal de grande instance de Paris, dans un jugement du 11 mai 2020, a reconnu la responsabilité d’un diagnostiqueur pour avoir sous-évalué la consommation énergétique d’un logement dans un DPE. Cette décision préfigure l’amplification probable des contentieux liés aux diagnostics énergétiques désormais opposables.

Les assureurs adaptent leurs polices pour tenir compte de ces nouveaux risques. La responsabilité civile professionnelle des auditeurs énergétiques fait l’objet d’une attention particulière, avec des exclusions concernant les engagements de performance. Parallèlement, de nouvelles solutions assurantielles émergent, comme les polices spécifiques couvrant le risque de non-atteinte des objectifs d’économie d’énergie après travaux.

Cette évolution du cadre juridique et assurantiel traduit la maturité progressive du marché de la performance énergétique. La multiplication des référentiels (RE2020, labels, certifications) nécessite une vigilance accrue des acteurs pour sécuriser leurs engagements contractuels et limiter leur exposition aux risques.